Le carton Alerte

Le carton ALERTE

Le carton ALERTE est un peu moins mal traité que son petit camarade le carton STOP (voir article correspondant).

Néanmoins, il n’est pas forcément inutile d’en dire quelques mots.

Quelles sont les enchères alertables et celles qui ne le sont pas ?

Beaucoup de gens pensent que tout ce qui est dans le SEF n’a pas besoin d’être alerté.

Ceci est totalement faux !

Le SEF n’est, en aucun cas, un système de référence pour l’arbitrage. D’ailleurs, SEF ne signifie pas “Système d’Enchères Français”, mais “Système d’Enseignement Français”. A l’origine, il était destiné aux enseignants de bridge, afin qu’ils aient tous un socle commun pour leurs élèves de troisième ou quatrième année.

D’autres croient qu’une enchère naturelle ne doit pas s’alerter mais qu’il faut alerter toutes les enchères artificielles.

Là encore, c’est faux !

Si vous jouez la réponse naturelle de 2♣ en réponse à l’ouverture de 1SA, il faut absolument l’alerter ! Alors que ce bon vieux Stayman, qui est bien une enchère artificielle, ne s’alerte évidemment pas… Du moins si vous le jouez dans sa version classique où, sauf rares exceptions, il montre au moins un espoir de manche (7/8 points H et +). Si vous jouez le Stayman trois paliers, par exemple, que l’on utilise fréquemment avec des mains faibles, voire totalement nulles, là, il faut l’alerter.

En fait, l’idée de base est très simple : vous devez alerter l’enchère de votre partenaire si vous pensez qu’elle vous transmet un renseignement sur sa main que vos adversaires risquent de ne pas obtenir. Toute forme de “cachotterie” est interdite.

Imaginons un exemple. Vous avez décidé, avec votre partenaire, que la réponse de 3♣ sur une ouverture majeure montrait un fit de trois cartes dans une main régulière 12-15 H et que cette enchère était obligatoire et prioritaire : autrement dit, toutes les mains régulières fittées par trois cartes de cette zone passent par 3♣. Vous avez aussi dans votre arsenal une enchère avec les mains équivalentes mais fittées par au moins quatre cartes (2SA Jacoby, par exemple).

La séquence se déroule :

ONES
1♠-2♣-
2-4♠

Eh bien, vous devez absolument alerter 4♠ !

En effet, vous venez d’obtenir un renseignement sur la main d’Est : il est fitté, a de quoi jouer la manche, mais il n’est pas très fort (sinon, il soutiendrait à 3♠). Alors, pourquoi n’a-t-il pas répondu 3♣ ou 2SA sur votre ouverture ?

Réponse : parce qu’il a une belle couleur au moins cinquième à Trèfle.

Or, ce renseignement, vos adversaires ne l’ont pas car ils ne connaissent pas votre système dans son intégralité (les enchères qu’Est aurait pu faire mais qu’il n’a pas faites). Comme c’est un élément fondamental pour guider le joueur à l’entame (et qui, vous, peut éventuellement vous inciter à vous diriger vers le chelem), vous n’avez pas le droit de le lui cacher.

Le cas inverse : vous jouez une épreuve d’honneur par 4. Votre partenaire fait une quatrième couleur forcing. Vos adversaires savent aussi bien que vous ce qu’est une quatrième couleur forcing : est-ce vraiment utile de l’alerter ? Franchement…

Dans le même genre, prenons la séquence suivante :

ONES
1♠2♣X

Si vous jouez un Spoutnik généralisé standard, l’alerte ne sert vraiment à rien : là encore, dans une épreuve d’Honneur ou même de Promotion, tout le monde sait que le contre n’est pas punitif. En revanche, si vous jouez le contre punitif dans cette situation, vous devez impérativement l’alerter, et même ostensiblement (voir plus bas).

Imaginons maintenant que, pour vous :

ONES
1♠2♣2SA

indique une main fittée par trois cartes d’au moins 11 DH et non pas, comme c’est classique, 11 points sans fit avec un arrêt à Trèfle.

Par inférence, lorsque votre partenaire contre Spoutnik, il n’est jamais fitté. Or, ça, vos adversaires ne peuvent pas le deviner puisqu’ils ne savent pas que vous jouez le 2SA fitté après intervention. Il faut donc cette fois absolument alerter le contre (et aussi le 2SA fitté, bien évidemment) car, le fait que votre camp puisse être fitté ou ne l’est sûrement pas peut influer sur l’enchère (ou l’absence d’enchère) de l’adversaire.

L’alerte à deux vitesses

Voici une anecdote, survenue à une époque où les Texas majeurs en réponse à l’ouverture de 1SA s’alertaient encore. Je suis en Sud et la séquence se déroule :

ONES
1SA-2-
2-3SAfin

L’ouvreur a alerté l’enchère de 2 mais, bien évidemment, ni mon partenaire ni moi-même ne pensons une seconde à poser la question. Nord entame sous son Valet de Pique quatrième et le mort s’étale :

Est
  • AD109
  • 85
  • RV5
  • 7642

Vous imaginez notre stupéfaction ! Nous nous tournons vers le déclarant, interloqués mais celui-ci nous répond :

“Ben quoi, j’ai alerté 2 mais vous n’avez rien demandé ! Nous jouons le Stayman Takis…” (une variante très peu répandue et totalement disparue de la circulation de nos jours où 2♣ était un Stayman faible et 2 un Stayman fort).

Vous comprenez facilement, je pense, que notre adversaire a été très incorrect. Il n’aurait pas dû se contenter de sortir négligemment son alerte, ce qu’il a fait, comme si 2 était un tout bête Texas. Il aurait dû insister, en ajoutant une phrase du genre : “attention, j’alerte vraiment”. Nous aurions alors posé la question et mon partenaire, sachant que le mort avait quatre Piques, n’aurait pas entamé sous le Valet de Pique quatrième, limitant alors probablement Sud à trois levées dans la couleur (avec son Roi troisième, il n’aurait eu aucune raison de ne pas tirer en tête).

Vos adversaires n’alertent pas

Si vous avez un doute sur la signification exacte d’une enchère adverse, ou ses inférences, ou même sur enchère qui n’a pas été faite, vous pouvez toujours poser la question, qu’il y ait eu une alerte ou pas.

Exemple. Voici la séquence adverse :

ONES
passepasse1♠2♣
2

Vous avez parfaitement le droit de demander à vos adversaires s’ils jouent le 2 faible à l’ouverture, ou les ouvertures Polonaises de 2 et 2♠ (cinq cartes et une mineure) car cet élément est connu d’Est et a des inférences sur le type de mains que Ouest peut avoir ou ne pas avoir ici.

En revanche, si vous avez la main suivante en Est et que la séquence se déroule :

ONES
1-1
-1♠-2SA
-3SAfin
Est
  • A84
  • 654
  • RDV109
  • 32

Et que vous demandez innocemment au déclarant :  “Vous jouez le Carreau quatrième ?” en regardant votre partenaire dans les yeux pour qu’il entame de son singleton à Carreau, l’arbitre est alors en droit de vous passer les menottes !

Une autre attitude est fréquente et tout aussi condamnable : vouloir profiter d’une absence d’alerte de l’adversaire pour en tirer un bénéfice. Ce n’est pas parce que vos adversaires ont oublié d’alerter une enchère que l’arbitre va vous donner des points ou des levées en plus. Il faut encore que vous prouviez que l’absence d’alerte vous a lésé en vous faisant faire une enchère, une entame ou jouer une carte alors que vous auriez opéré différemment s’il y avait eu une alerte.

Votre partenaire n’a pas alerté

Vous ne devez tout simplement pas en tenir compte et continuer à enchérir comme si de rien n’était. L’alerte n’est pas faite pour vous mais pour vos adversaires.

Exemple. Vous avez la main suivante, en Ouest et vous intervenez par 3♣, Michael’s cue-bid, bicolore Cœur-Carreau, donc. Votre partenaire n’alerte pas et voici la séquence :

Ouest
  • 82
  • RDV54
  • AV1086
  • 4
ONES
1♠
3♣3♠5♣X

Vous n’avez absolument aucun droit de rectifier à 5 en vous disant : “cette andouille a encore oublié la convention, il a cru que j’avais des Trèfles, essayons de sauver les meubles” !

En effet, imaginons la même séquence mais, cette fois, Est a alerté votre 3♣. Nord ayant demandé la signification de l’enchère, votre partenaire a correctement répondu “bicolore rouge” avant de dire quand même 5♣. Là, vous vous diriez : “il doit avoir huit ou neuf Trèfles, faisons-lui confiance”.

Donc, vous voyez bien que, s’il n’a pas alerté et que vous dégagez à 5, vous utilisez un renseignement qui n’a pas été transmis par la seule voie légale que forment les enchères de votre partenaire et, ça, c’est interdit.

Moralité

Le bridge est, ou devrait être, un jeu de gentlemen (et de gentlewomen). L’important n’est pas tant l’application brutale d’un règlement que le respect de l’éthique du jeu.

Croyez-moi, si vous savez que vous ne devez vos victoires qu’à votre seul talent (et à celui de vos partenaires), sans avoir volé le moindre imp ou pourcentage, elles n’en seront que plus merveilleuses.

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Amour du bridge
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 by Biedermann
alerte

Mon partenaire a annoncé un 2 carreau sur l'ouverture de 1 carreau. Il ne s'agissait pas de l'annonce pour m'indiquer ses majeurs "alertable", mais tout simplement d'une annonce naturelle.

Est ce que je devais alerter ?

Merci, cordialement.

Effectivement, il vaudrait mieux alerter et même violemment, en insistant lourdement, car cette façon de jouer est très inhabituelle.

 by mathidom
pas le droit à l'erreur ?

très bon article sur le carton ALERTE (tout comme sur celui relatif au STOP).
cependant je suis surpris par la suite de 3♣, Michael's cue-bid, bicolore Cœur-Carreau et l'impossibilité de rectifier à 5 C ou K.
lors de compétitions HONNEUR l'arbitre déclare souvent dans ce genre de situation que le droit à l'erreur existe et admet la rectification

Tel que l'exemple est présenté, non, le droit à l'erreur n'existe pas.

 by BOYER
Idem !

Il m'est arrivé exactement la même chose que le dernier exemple présenté dans l'article où mon partenaire a mis 5T. J'ai rectifié à 5K sans penser que c'était répréhensible puisque nous étions misfit. En fait mon partenaire n'ayant pas alerté je subissais la double peine : erreur d'enchère de sa part et interdiction de reparler pour moi. L'arbitre a été appelé : il a considéré que mon enchère était effectivement répréhensible, a hésité puis considérant que j'étais de bonne foi et que je n'avais pas franchement triché mais reparlé à tort a choisi une pénalité soft (1 levée)

 by Fabrice THIERRY
Ecran

Quelles sont les règles pour le carton alerte quand on joue derrière un écran ?

Chacun alerte à la fois les enchères du partenaire et les siennes propres. Evidemment, lorsque les explications d’une enchère sont différentes des des côtés, l’arbitre a du travail !

Professeur agréé par la F.F.B, Marc Kerlero enseigne le bridge depuis 1980. Il est l'auteur de 15 ouvrages, dont plusieurs best-sellers et a été rédacteur en chef d'Objectif 13 puis de Bridgerama. Il a collaboré aussi à Jouer Bridge. Il a été champion d'Europe junior en 1984, vice-champion de France de division nationale I en 2004, champion de France de division nationale II par quatre en 2014 et vainqueur de la Coupe de France en 2019.